Yánnis Kounéllis est un artiste greco-italien, né en 1936 au Pirée, en Grèce. Il est peut-être un des plasticiens les plus influents de la scène contemporaine, et ceci depuis ses débuts dans les 60, où il devint un acteur incontournable d’Arte Povera ; philosophie, attitude auxquelles il restera indubitablement lié durant toute sa carrière artistique.
Bien qu’il débute sa carrière de jeune artiste dans les méandres de l’expressionnisme abstrait, Yannis Kounellis, arrivé à Rome à l’âge de 20 ans pour intégrer l’Académie des Beaux Arts, développe très vite la volonté de ne pas s’enfermer dans les prédicats d’un art objectal bourgeois. Il intègre progressivement des structures vivantes dans des installations qui rentrent de plus en plus dans le nouveau cadre que théorise Germano Celant.
Les animaux, les végétaux et les minéraux ont fait irruption dans le monde de l’art. L’artiste se sent attiré par leurs possibilités physiques, chimiques et biologiques, et il recommence à sentir le mouvement des choses dans le monde non seulement en tant qu’être aimé, mais aussi en tant que producteur d’événements magiques et merveilleux. L’artiste alchimiste ordonne les choses vivantes et végétales en faits magiques, travaille à la découverte du noyau des choses, pour les retrouver et les exalter.[…]. Mais l’artiste n’élabore pas ce avec quoi il entre en rapport ; il ne formule pas : il le laisse découvert et évident, il puise à la substance même de l’événement naturel, comme la croissance d’une plante, la réaction chimique d’un minerai, le comportement d’un fleuve, de la neige, de l’herbe et du terrain, la chute d’un poids, il s’identifie à tout cela pour vivre la merveilleuse organisation des choses vivantes.
Germa Celant, Arte Povera
Yannis Kounellis connut sa première heure de gloire lors de son incroyable installation à la galerie L’Attico en 1969, où il a présenté 11 chevaux vivants attachés dans la salle d’exposition.
Le but de cette installation était de subvertir l’organisation d’une exposition bien rangée, comme on avait l’habitude de voir, notamment depuis la fameuse exposition Primary Structure (NY-1966), et de montrer des énergies et des organismes vivants dans une salle d’expositon.
Dans cette même idée, quelques années plus tôt, en 1967, toujours, à L’Attico, il avait déjà placé des cactus plantés dans du terreau dans des bacs métalliques. Allusion directe aux minimalistes américains, notamment à Donald Judd, et une façon de dire qu’à la morbidité d’un art bourgeois, il mettait déjà la vie dans l’art.
D’ailleurs, Yannis Kounellis incarne presque à lui seul l’attitude pauvre qui consiste en des actions souvent éphémères, in situ, où des tensions, des énergies, se régulent autour de matériaux souvent opposés dans leur structure et leur essence. Kounellis ira jusqu’au bout du principe povera dans la volonté de ne laisser aucune trace de ses expériences.
C’est dans cet esprit que Kounellis réalisa une œuvre également très connue intitulée Kounellis où il était écrit Kounellis en lettres de feu. Ce n’était pas tant d’honorer un narcissisme que de le soustraire à sa démarche. Celant dira à propos de Kounellis :
« Il faut donc revenir à la conception artistique limitée dans laquelle l’homme n’est pas seulement le moyen et l’instrument, mais le cœur même et le feu de la recherche. L’homme est le message, d’après McLuhan. Dans les arts plastiques, la liberté est un germe qui contamine toute production. L’artiste refuse les étiquettes et ne s’identifie qu’à lui-même »
Germano Celant, Notes pour une guérilla.
Cependant, à partir des années 70, l’extrême enthousiasme qu’avait suscité la démarche pauvre a été vite castrée par la bourgeoisie qui allait imposer ses règles sur le monde de l’art. Après avoir eu la volonté d’introduire la vie avec Arte Povera, l’artiste va se résigner à mettre en scène la mort.
Le premier acte de cette résignation a été réalisé lors d’une célèbre installation à San Benedetto del Tronto qui consistait en une porte fermée constituée des pierres superposées qui est considérée comme un de ses chefs-d’oeuvre.
Plus tard, durant ces années de réalisation désenchantée, et amer de l’échec de l’utopie, la vitalité du feu cède la place à la suie, la mobilité luminescente du chalumeau se transforme en une poussière stagnante sombre.
À Turin, en 1979, les deux oiseaux empaillés, percés de flèches, en suspension sur les lignes d’un paysage urbain élémentaire transmettent le présage triste de la fin de chaque imagination libératrice.
Ce processus est poussé à son extreme aux Espai Poublenou de Barcelone en 1989, où il présente des quarts de bœuf fraîchement abattus, fixés au moyen de crochets à des plaques métalliques et éclairés de lampes à huile.
La dernière période de Kounellis est caractérisé par la récupération de tout lexique syncrétique développé dans les décennies précédentes, combinée dans des grandes et complexes séquences narratives, selon une monumentalité correspondant à la vocation originelle de sa créativité à l’échelle urbaine.
Dans Piazza Plebiscito, en 1995, de retour à Naples, il expose des bouteilles de gaz avec des tubes de cannelle, montés sur un grand panneau métallique. Sur la colonnade de l’église de San Francesco sont affichés sur les étagères des fragments usées de bateaux, emblèmes du voyage comme une condition de l’existence, comme ils sont parfois accrochées antiquités, positionnés afin de ne pas être vu de l’extérieur.
Enfin en 2002, du 7 mai au 14 Juillet à la National Gallery of Modern Art à Rome, Kounellis mis en scène son «Acte unique», envahir les couloirs et les salles de la célèbre institution avec un énorme labyrinthe de feuilles de fer. Le long du chemin, il y mit des mots comme «charbon», «filatures de coton», des sacs de jute, des tas de pierres. Un seul acte vraiment unique en raison de sa complexité, parce qu’inévitablement connecté à cet endroit et à ce moment, comme unique et irremplaçable sont les actes de l’art qui s’ échappent de la reproductibilité de la production industrielle.