Mario Merz



« Solitaire – solidaire veut dire que je vis avec les autres mais aussi avec moi-même »

Mario Merz est un artiste italien, né à Milan le 1er janvier 1925, d’un père ingénieur, et d’une mère professeur de musique. Il est mort à Turin, le 9 novembre 2003.

Mario Merz est souvent présenté comme une des personnalités du monde de l’art les plus influentes de la deuxième moitié du XXème siècle, mais aussi comme une figure incontournable d’Arte Povera et de Turin, la ville qu’il intègre durant son enfance.

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Mais Mario Merz est avant-tout un enfant de la seconde guerre mondiale, qu’il affronte déjà d’une façon  virile et subversive,  en tant qu’opposant à l’ordre fasciste.  Il se fait arrêter pour participation à la propagande anti-fasciste, et c’est durant ses longues journées d’emprisonnement qu’il s’initie en autodidacte à l’art, et particulièrement au dessin.

« En 1945 , à la fin de la guerre, j’étais en prison pour des raisons politiques , et j’ai fait un portrait d’un autre prisonnier, un homme avec une tête énorme et toute rouge …. Je n’ai jamais soulevé le crayon du papier …. Quand j’ ai quitté la prison, je suis allé directement à la campagne pour faire un dessin sur l’herbe, de la même façon que j’ai fait le portrait. »
Mario Merz, Merz at the Guggenheim Museum, 1989

A la libération, sommé par son père de choisir un métier, Merz s’enfuit à Paris pour travailler comme chauffeur de camion aux Halles tout en poursuivant ses activités politiques. Il occupe son temps libre à visiter les musées de la ville. Durant cette recherche, il fait également la découverte de Jean Dubuffet, Jean Fautrier et Jackson Pollock. Il s’initie également à la littérature et la philosophie française.

En 1946, à son retour en Italie, Merz commence à lire les écrits de Franz Kafka, Cesare Pavese (Pays-tuoi), Karl Marx, John Steinbeck (Des souris et des hommes), Eugenio Montale (Ossi di seppia) et Leonardo da Vinci, en particulier ses écrits sur le dessin. Il fait la connaissance d ‘Ezra Pound, dont le travail est devenu une source d’inspiration importante pour l’art de Merz. Il se lie d’amitié avec les peintres Mattia Moreni, Ennio Morlotti et Luigi Spazzapan.

Jusqu’en 1949, il fait toutes sortes d’expériences, mais avec les encouragements et les conseils de Luciano Pistoi, un critique d’art rencontré en prison, il entame à plein temps sa carrière d’artiste qu’il concrétise en 1954, lors de sa première exposition personnelle à la Galleria La Bussola de Turin. Il y présente des huiles sur toile directement inspirées de l’expressionnisme abstrait, montrant de fait, qu’il subissait -comme pratiquement toute l’avant-garde italienne- très clairement l’influence américaine.

Il poursuit cette démarche jusqu’à la première moitié des années 60. Mais à partir de ces années, Mario Merz montre très clairement la volonté d’intégrer du volume dans ses toiles et son art. Dans la directe lignée de ce qu’avait conceptualisé Mila Pistoi et que l’on appelait la « peinture volumétrique », il intègre dans ses compositions des d’objets trouvés  (industriels, organiques …), préfigurant déjà le style Arte Povera que certains définissent comme une sorte de baroquisme industriel.

Durant la seconde moitié des années 6O, Mario Merz se consacre exclusivement à la sculpture qu’il décline d’une façon italienne, c’est-à-dire en pleine subversion des codes existants. Après avoir subit l’influence américaine, de l’esprit sobre, minimal de la construction bien réalisée (R. Morris à propos du minimalisme américain), Mario Merz -avec l’avant-garde turinoise- va s’engager dans des compositions avec des matériaux, le plus souvent organiques, qu’il contrebalance déjà avec des dérivés industriels comme le néon.

Dans cet élan, il participe à plusieurs expositions fondatrices du style naissant de cette avant-garde ; que l’on définira pour la première fois Arte Povera en 1967 , par Germano Celant, lors de l’exposition : Arte Povera – Im Spazio.

Durant ces années, d’une incroyable créativité, il va construire son style et sa réflexion sur l’objet artistique, et à la différence des autres artistes de sa mouvance, il n’hésitera pas à y ajouter des slogans politiques à certaines de ses œuvres, surtout durant la période contemporaine à 68.

A partir de ces années, son cheminement artistique va se faire par des récurrences qui tendent souvent vers le matérialisme sensoriel dont on parle souvent pour définir son œuvre, qu’il va conceptualiser avec les notions de prolifération et de dynamique -introduite par le futurisme– qu’il va interpréter avec la suite de Fibonacci.

Durant les années 1967-1968, il conçoit des structures en osier qu’il présente pour la première fois à la galerie Sperone de Turin en 1968, et que Germano Celant qualifie d ‘« assemblages illogiques et sans fonction» qui invitent le spectateur à la liberté de perception afin de reconstruire un nouveau cadre qui intègre le sensible, et qui permet de percevoir les forces et les énergies en présence.

Liberté de percevoir les «choses» qui aident  à «reconstruire» ou «construire» de nouvelles idées . Germano Celant.

Parfois, à ces structures en osier, il n’hésite pas à y intégrer des effets de lumière, des néons, et même de l’eau en ébullition pour orienter la perception de ces œuvres vers la dynamique des énergies en présence.

A partir de 1968-1969, il réalise son premier igloo, sa marque de fabrique en quelque sorte, et qui fera son succès international, dans l’esprit de guérilla qui animait Arte Povera, et que Merz nomme l’Igloo di Giap, du nom d’un général qui a résisté aux américains durant la guerre du Vietnam.

L’igloo étant cet abri, cet espace topologique, de nature nomade car déplaçable, de résistance à l’hégémonie américaine. Sa déclinaison se fait à travers le grand thème artistique du XXème qui est celui de la spirale que Merz interprète, à l’inverse de Tatline -qui part de la matière pour arriver dans les hauteurs de l’idée -, avec la dynamique de la suite de Fibonacci où la structure s’élève mais reste dans une dimension organique et humaine pour ne pas se perdre dans les méandres de l’idée. Pour nous en convaincre, Merz ajoute une spirale de néon avec la citation du général Giap: « Si l’ennemi se concentre, il perd du terrain, s’il se disperse, il perd sa force. ».

Au métarialiasme historique débuté dans l’art par Tatline -qui abouti de fait à l’idée pure par le fait même de l’enquête sur la matière- et poursuivi par les minimalistes américains, est contrebalancé le matérialisme sensoriel propre à l’Arte Povera que Merz subvertit par l’esprit des contrastes, d’un nouveau baroquisme, propre à la situation italienne et particulièrement de Turin ; où un paysage industriel (usines Fiat) se mêle aux splendeurs sensorielles des campagnes. Le fait culturel n’est pas donc nié dans l’oeuvre de Merz, mais il est toujours contrebalancé par le principe organique.

«  ce qui m’a intéressé dans l’igloo, c’est qu’il  est déjà dans la tête avant d’être réalisé ; mais une idée organique, ce n’est pas encore l’organique, on doit la réaliser. Vient alors le problème d’organiser une construction, la plus simple possible. L’architecture, c’est une construction quelquefois mathématique, quelque fois décorative, mais toujours une construction pour s’abriter, pour conférer une dimension sociale à l’homme : il n’y a pas d’architecture, il y a une architecture qui sert à quelque chose. Il n’y pas la peinture, il y a une peinture qui est une image. Quand j’ai fait l’igloo, j’ai agi avec la force d’imagination parce que l’igloo, ce n’est pas seulement l’élémentarité de la forme, c’est aussi un support à l’imagination. L’igloo est une synthèse, une image complexe, car l’imagination élémentaire de l’igloo (celle que je porte en moi) , moi je la torture. Je crois que l’igloo a deux faces, une concrète et une plus mentale »

Il dira d’une façon plus concise « l’igloo c’est la forme organique par excellence, c’est à la fois le monde et la petite maison » .

« À la fois organique et artificielle, en expansion et immobile, solide et fragile, fermée et ouverte, la forme de l’igloo incarne pour Merz la configuration par excellence d’une dialectique des contraires dans laquelle les choses et les événements ne sont jamais ni tout à fait résolus ni déjà donnés. » Jacinto Lageira

Ces archétypes nomades en forme d’igloo seront exposés dans toutes les grandes places du monde de l’art. Selon le contexte de la situation géographique, Merz y donna des interprétations différentes mais toujours dans l’esprit des contrastes et du temps réel.

Plus tard, en 1973, Merz interprétera la dynamique de la suite Fibonacci, au niveau horizontal, avec des dispositifs de tables qui incarnent l’occupation de l’espace par un groupe social qu’il mettra en pratique dans beaucoup d’installations, mais aussi dans une cantine d’ouvriers.
L’idée fondamentale de ces dispositifs est de refuser la dynamique linéaire de l’occupation de l’espace de manière à ne pas fixer les possibilités par l’idée elle-même afin de mettre ces dispositifs en vie.

« Je refuse l’orientation linéaire, du 1 par 1, et de l’occupation de l’espace en ligne. Je refuse l’idée qu’il pourrait y avoir un nombre fixe de personnes dans l’espace. Les tables qui font partie intégrante de la vie quotidienne doivent être faites pour un espace plein ou pour un espace vide …
Pour 1 personne. Pour une autre personne. Pour 2 personnes puis. Pour 3 personnes. Pour 5 personnes. Pour 8 personnes. Pour 13 personnes. Pour 21 personnes. Pour 34 personnes. »
Merz – 1973

Pour ce faire, dans ces installations, il dispose souvent des fruits sur ces tables. Pourquoi des fruits ? Tout simplement pour donner une immédiateté à l’événement. Pour Merz, quand on voit un fruit disposé sur une table, il donne l’envie de le manger. On ne pose pas que question de savoir d’où il vient, d’enquêter sur le fruit : ( « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange » proverbe anglais). Pourtant, ces fruits ne sont pas les nôtres, ce que nous pourrions douter si on écoutait son appétit … à défaut de la table qui implique d’emblée un processus organisationnel, intellectuel et lointain ;  ils déplacent tout simplement le phénomène de perception de l’objet dans une immédiateté, voire même dans l’éphémère, vu leur rapide dégradation.

En parallèle à ces dispositifs, les nombres, chez Merz, ont une place fondamentale. Ils sont souvent présents dans les installations, et cela depuis 1968. Il a toujours été question de leur donner une réalité, de les mettre en vie, du fait même de la dynamique qu’ils contiennent en eux.

« les nombres qui se multiplient sont aussi réels que les animaux qui se reproduisent. La vision est globale. Le rationnel et l’irrationnel se reproduisent. Les nombres se reproduisent comme des animaux. Les animaux se reproduisent comme des nombres. Les lois mathématiques et physiques sont en expansion. Animaux vivants, indépendants du règne animal. Les lois en mouvement des mathématiques et de la physique des animaux réels. Les nombres sont des animaux vivants. La réalité est numérique. Manger deux pommes ce n’est pas … Manger une pomme… car c’est un processus numérique en expansion ».

Mario Merz, publication de l’ARC.

Durant les années 70 Merz s’adonne à quelques expériences :

«  j’ ai fait de la vidéo. La bande que je ai présentée à Bologne était un travail impliquant la musique. J’avais embauché un violoniste, qui a joué du violon, le rythme et les intervalles étaient réglées selon la série de Fibonacci : ping , une pause , ping , une pause , de ping- ping , deux pauses , et ainsi de suite. La seconde bande, ce que j’ai faite, c’était avec Gerry Schum, il était question de coquille d’escargot… »

Mais il se consacre essentiellement à ses installations d’igloos et de tables qu’il décline un peu partout sur le globe jusqu’à l’année de sa consécration, en 1979.

Paradoxalement, ces années de succès, installe en lui une sorte de mélancolie.« L’inimité primitive a disparu pour laisser place au divertissement de l’homme » déclare-t-il.

La fin des années 70 sont des années de transfiguration totale de l’Italie, qui se caractérise par une agitation complètement chaotique. L’assassinat de Pasolini, l’enlèvement et le meurtre d’Aldo Moro, menaces de groupuscules d’extrême gauche et d’extrême droite qui répandent une nouvelle terreur dans le pays. Mais aussi, et avant-tout, concernant Merz et les acteurs d’Arte Povera, c’est l’ordre bourgeois qui gagne la bataille symbolique et qui impose ses lois au monde de l’art. Dans ce climat, l’attitude pauvre n’a plus véritablement sa place. De plus, on assiste à un retour au subjectivisme de l’artiste qui est de plus en plus vu comme le héros de la nouvelle société.

Dans ce contexte, un mouvement se crée, la « Trans-avant-garde », avec certains acteurs d’Arte Povera, et Germano Celant, qui prônait le retour au dessin que Kounellis et Merz interpréteront à la leur manière : en y intégrant l’objet réel dans des dispositifs qui mêlent souvent une approche picturale / sculpturale.

A partir des années 80, Merz se consacre essentiellement au dessin d’archétypes d’animaux préhistoriques, non pas tant dans une approche mystique que l’on a vue chez Malévitch, mais dans la volonté, comme on l’a vu chez certains acteurs d’Arte Povera, de mettre en vie le processus symbolique. Mario Merz voulant montrer que ces animaux sont reconnus par le spectateur par un processus organique d’identification de formes, et surtout du fait qu’ils sont indépendants de la culture. Il est souvent question dans ces compositions de traits archaïques et colorés dans un style souvent très africain. Merz jouera parfois de la métamorphose dans des compositions souvent énigmatiques.

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