En 1913, le public parisien accueillait sous les sifflets et un vacarne à peine imaginable Le Sacre de Printemps de Stravinky. Il en fut du même pour l’opéra futuriste, la Victoire sur le Soleil, représenté le 3 et 5 décembre 1913 à Moscou .
Selon les témoignages, les spectateurs criaient dans salle : » A bas les futuristes …A bas les scandalistes ! « . Trois voix de chanteurs pouvaient à peine émerger dans un chaos à peine descriptible.
Dans ce même temps, Machioutine ajoutait que rien ne put détruire la forte impression que fit l’opéra. « tellement les mots étaient forts de leur force intérieure, tellement puissants apparurent les décors et les aveniriens ».
Cet opéra est né de la coopération du compositeur Matiouchine, du poète Krouchenykh et du peintre Malévitch qui s’étaient retrouvés dans l’association l’ « union de la jeunesse ». L’élaboration de cet opéra avait duré plus de 6 mois, et l’union de la jeunesse s’était rapidement retrouvée dans des difficultés financières du fait de coûts de location du théâtre complètement disproportionnés. Ils n’avaient pu s’offrir les services de chanteurs professionnels, d’où cette impression d’amateurisme qui se dégageait auprès du public lors de la représentation.
Cet opéra d’un genre complètement nouveau à l’époque a une importance assez considérable dans l’histoire de l’art :
– au niveau musical, car il acte en Russie les nouvelles avancées atonales de Schöenberg.
– au niveau de l’écriture, du fait que Krouchenykh ait écrit une grande partie du texte en zaoum , une langue transrationnelle, où le russe a été décomposé en des formes sonores fondamentales dépouillées de sens précis afin de mettre à nu la force primitive des sons.
– et surtout au niveau pictural, car il est à l’origine de l’invention du suprématisme (et peut-être de l’art abstrait), comme le précisa Malévitch quelques années plus tard : » Le suprématisme est né à Moscou en 1913″. Le décor principal était constitué d’un carré séparé d’une diagonale définissant un espace blanc et noir. Le carré noir « l’enfant royal », « l’icône de notre temps », rejeton du travail a-logique du peintre devait proclamer sa victoire sur l’ancienne esthétique qui était symbolisée par le soleil.
El Lissitzky résume cette approche par ces mots : «le soleil comme l’expression de l’énergie du vieux monde est déchiré des cieux par l’homme moderne, qui, en vertu de sa supériorité technologique créé sa propre source d’énergie. »
Kasimir Malévitch dessina quelques dizaines esquisses. Seulement une vingtaine a pu être conservée dont le fameux carré.